Santé

Résistance aux antibiotiques : « une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale »

Article original publié le 2 octobre 2018 pour Ombelliscience sur la plateforme Échosciences Hauts-de-France.


Pour l’Organisation mondiale de la santé, « la résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale ». Due au mauvais usage de ces médicaments, l’antibiorésistance serait à l’origine de 12 500 décès par an en France et pourrait devenir la première cause de mortalité dans le monde en 2050.

En regard de l’ampleur du problème, cette thématique peut paraître relativement peu proéminente sur le plan médiatique parmi les sujets de santé publique actuels. D’ailleurs, un Français sur deux ne sait pas bien ce qu’est l’antibiorésistance. Rappelons rapidement ce dont il s’agit, pour ensuite faire un état des lieux de la situation et de la lutte menée contre l’antibiorésistance en France.

Les antibiotiques, une invention salutaire

Les antibiotiques permettent de détruire les bactéries, ou d’en empêcher la prolifération. Les bactéries sont des êtres unicellulaires très divers dont la plupart sont sans danger pour la santé, certaines jouant même un rôle bénéfique, à l’image des bactéries de notre flore intestinale. Toutefois, tout comme les virus, champignons et parasites, un certain nombre de bactéries, dites pathogènes, sont responsables de maladies. Certaines sont bénignes, d’autres sont plus graves, voire potentiellement mortelles. Historiquement, les maladies bactériennes ont fait des ravages en Europe : la peste noire a par exemple tué entre 30 et 60% de la population européenne (!) au XIVe siècle. Aujourd’hui, ces maladies continuent de sévir à travers le monde : la tuberculose, due à une infection par Mycobacterium tuberculosis, est la première cause de mortalité par maladie infectieuse dans le monde avec environ 1,7 million de victimes en 2016.

Alexander Fleming reçut le prix Nobel pour son rôle dans la découverte de la pénicilline

Au XIXe siècle, la découverte de l’existence des micro-organismes et de leur rôle dans les maladies infectieuses a permis d’envisager leur traitement. La lutte antibactérienne a démarré avec la mise au point de l’arsphénamine en 1907, qui fut utilisée avec succès pour traiter la syphilis. C’est toutefois la découverte de la pénicilline, suivie de nombreux autres antibiotiques, qui a mené à une démocratisation de leur usage. Les antibiotiques ont permis de sauver la vie et d’améliorer la santé d’innombrables personnes et constituent assurément l’un des plus grands succès de la médecine moderne.

Phénomène de résistance et impact sanitaire

Les antibiotiques ont malheureusement été victimes de leur succès : leur administration répétée et parfois abusive a en effet engendré l’émergence de souches de bactéries qui leur résistent. Car dans une population de bactéries, il en existe toujours naturellement une fraction qui résiste partiellement ou totalement à l’action de l’antibiotique grâce à différents mécanismes. Ainsi, lorsque l’on soumet les bactéries à un antibiotique, on détruit celles qui y sont sensibles, et il ne reste que les bactéries ayant survécu, qui peuvent proliférer. L’application d’antibiotiques constitue une pression de sélection favorisant les bactéries résistantes. Les bactéries peuvent obtenir leur capacité à résister à un antibiotique donné spontanément par mutations génétiques, mais aussi l’acquérir par la transmission de fragments d’ADN de bactérie à bactérie, ce qui accélère la propagation des résistances.

Représentation schématique de l’apparition de résistances

« Avec l’émergence de résistances, le risque est que nos antibiotiques ne soient plus efficaces, et de ce fait que l’on ne puisse plus traiter des infections aujourd’hui faciles à traiter », s’inquiète le Dr. Mohamed Si Abdallah, de la Direction Sécurité sanitaire et santé environnementale de l’Agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France. En effet, certaines souches de bactéries se montrent insensibles à plusieurs antibiotiques, voire à la quasi-totalité des antibiotiques disponibles, ce qui peut mener à l’impasse thérapeutique. À cause des résistances, les traitements sont plus longs, on prescrit plusieurs antibiotiques, et les patients subissent davantage d’effets secondaires. Les établissements de santé sont naturellement des lieux à risque, mais le phénomène de résistance s’observe aussi en ville. Santé Publique France estimait en 2012 à plus de 150 000 le nombre d’infections à bactérie multirésistante en France. L’antibiorésistance a donc un coût humain considérable, accompagné d’un coût financier supplémentaire pour le système de santé.

L’apparition de résistances concerne presque tous les antibiotiques développés. Il s’agit d’une vraie « course aux armements » entre les humains et les bactéries, dans la mesure où des résistances apparaissent systématiquement après l’introduction d’un nouvel antibiotique. Aussi, les professionnels de santé tendent à limiter l’utilisation des nouveaux antibiotiques pour préserver leur efficacité. Combiné à leur faible prix de vente, c’est entre autres cela qui explique le manque d’investissements privés dans le développement de nouveaux antibiotiques, actuellement peu rentables. Le faible nombre de nouveaux médicaments « dans les tuyaux » inquiète les organisations sanitaires publiques.

La lutte contre l’antibiorésistance

Plus l’utilisation d’antibiotiques est élevée, plus on favorise l’apparition de résistances. La priorité est donc de diminuer la consommation d’antibiotiques. Les vaccins contre les maladies bactériennes permettent par exemple d’éviter d’avoir à les traiter par antibiotiques, tandis que l’hygiène, notamment des mains, permet de ralentir la propagation des bactéries. Même quand on est en bonne santé, nous sommes tous potentiellement porteurs de bactéries résistantes.

Le principal levier se situe toutefois dans la rationalisation de l’usage des antibiotiques. En médecine de ville comme en établissement de santé, il existe des utilisations inappropriées. La prise d’antibiotiques ne doit pas être banalisée, elle doit se faire sous prescription, en respectant posologie et durée de traitement. Par ailleurs, les antibiotiques sont parfois prescrits alors qu’il est probable que le mal soit d’origine virale. La prise d’un antibiotique dans ce cas sera inefficace et appliquera inutilement une pression de sélection sur les bactéries de notre corps, qui pourront s’avérer pathogènes. « Pour ce qui est des angines par exemple, il existe des tests rapides mis à disposition des médecins par l’Assurance maladie, permettant de savoir si l’origine est virale ou bactérienne » rappelle le Dr. Si Abdallah. Lorsque c’est envisageable, il sera également bénéfique d’essayer d’identifier la bactérie responsable de l’infection pour pouvoir privilégier un antibiotique sélectif et ainsi épargner les bactéries non-cibles.

Slogan de campagne en établissements de santé

Après 15 ans de vigilance sur l’antibiorésistance au niveau national, et grâce aux campagnes de sensibilisation (« les antibiotiques, c’est pas automatique ! »), on constate une baisse de la consommation d’antibiotiques de 11,4% entre 2000 et 2015, avec hélas une reprise depuis 2010. En France, la consommation d’antibiotiques reste nettement plus élevée que la moyenne européenne, et deux fois supérieure à celle de l’Allemagne. « De plus, les Hauts-de-France sont la première région consommatrice par habitant » précise Corinne Dupont, chargée de mission lutte contre l’antibiorésistance à l’ARS Hauts-de-France. « Il y a un enjeu majeur de santé publique, raison pour laquelle cette lutte est une priorité pour nous à l’ARS. » Aussi, l’ARS travaille sur ce sujet depuis longtemps avec de nombreux partenaires, notamment l’Assurance maladie.

Il faut également prendre en compte l’usage vétérinaire des antibiotiques, à destination des animaux de compagnie et surtout des animaux d’élevage. Les antibiotiques sont largement utilisés dans l’élevage, parfois systématiquement en prévention, voire en tant que facteurs de croissance dans l’alimentation des animaux (interdit dans l’Union européenne depuis 2006). Les bactéries résistantes peuvent transiter de l’animal vers l’humain, que ce soit directement (viande peu cuite par exemple) ou par une dissémination dans l’environnement. En 2011, le ministère en charge de l’agriculture a lancé le plan ÉcoAntibio, visant à baisser de 25% la consommation vétérinaire en 5 ans. Cet objectif a été dépassé, avec une diminution de 37% sur la période.

En 10 ans, la consommation d’antibiotiques est à la baisse pour l’ensemble des espèces animales. Source : Santé Publique France (2017). Chiffres Anses

Concernant la progression des souches de bactéries résistantes, des succès importants ont été notés en santé animale suite à la diminution du recours aux antibiotiques. En revanche en santé humaine, la situation est contrastée. Le recul de la résistance à la méticilline chez le staphylocoque doré est encourageant (13,8% des souches en 2016 contre 31,1% en 2006), mais l’augmentation de la résistance aux céphalosporine 3e génération chez Escherichia coli est inquiétante, en médecine de ville et surtout en établissement de santé (11,2% contre 2%).

Si la stratégie consiste à limiter l’apparition de résistances, il est aussi parfois envisageable de déjouer les mécanismes de résistance que les bactéries ont développés. C’est ce qu’ont fait des chercheurs lillois, en rétablissant la sensibilité de la bactérie responsable de la tuberculose résistante à l’éthionamide. Pour fonctionner, cet antibiotique nécessite d’être « activé » une fois à l’intérieur de la bactérie. Or, les bactéries résistantes ont une mutation génétique qui empêche cette activation. « En adjoignant une molécule «booster» à l’éthionamide, on crée une nouvelle voie d’activation pour l’antibiotique, ce qui rétablit complètement la sensibilité des bactéries », explique Rosangela Frita, chercheuse en post-doctorat à l’Institut Pasteur de Lille et ayant participé à ces recherches. Ce type d’approche originale constitue un outil de plus dans la lutte contre l’antibiorésistance, en parallèle de la recherche pour développer de nouveaux antibiotiques.

Prendre la mesure des enjeux sanitaires

La résistance aux antibiotiques est une sérieuse menace pour la santé publique. Malgré ses conséquences graves et avérées, l’antibiorésistance semble susciter moins de craintes que d’autres sujets de santé publique d’actualité très médiatisés, dont l’impact sanitaire est pourtant plus faible, incertain voire spéculatif. Dans la mesure où une meilleure information est nécessaire pour agir en conséquence, la poursuite des actions de sensibilisation auprès des professionnels de santé et des usagers est capitale. « La lutte contre l’antibiorésistance est l’affaire de tous, chacun de nous a un rôle à jouer », rappelle Corinne Dupont.

4 Comments

  1. Anonyme

    Bonjour,

    Article très intéressant.

    Etant dans une région ou il y a plus d’animaux d’élevage que d’humain et au regard des courbes que vous publiez sur les animaux, peut on s’étonner de la résistance des bactéries ?
    J’en doute.

    Vous me direz que les antibiotiques utilisés ne sont pas les mêmes (ils sont très proches de ceux utilisés pour les humains).

    Au pays bas, un agriculteur hospitalisé est dans un premier temps mis en quarantaine afin de vérifier qu’il n’est pas porteur d’un agent du sras.
    En France ?

    J’ai le sentiment qu’en France nous avons oublié les règles fondamentales de l’hygiène avec la diffusion des antibiotiques.
    Notre mode de vie a t il pas été influencé?
    J’ai une maladie contagieuse, j’obtiens un traitement antibiotique et je retourne en milieu collectif (école, bureau, transports en commun…) ce qui permet d’étendre une contamination.

    J’ai aussi le sentiment que médecins et scientifiques ont leur part de responsabilité dans la diffusion massive d’antibiotiques chez l’homme (et je ne parle pas de l’agroalimentaire)

    Le reconnaîtrons nous un jour?

  2. Pom

    Bonjour, merci pour cet article très intéressant ! Je remarque une petite erreur dans cette phrase : « Au XIXe siècle, la découverte de l’existence des micro-organismes et de leur rôle dans les pathologies infectieuses a permis d’envisager leur traitement. »
    Ce devrait être soit la pathologie infectieuse ou alors les maladies infectieuses.

  3. Anonyme

    Y a-t-il des explications sur le fait que pour les antibiotiques ou les pesticides contre des moustiques en Camargue, le processus de sélection naturelle subsiste encore aux détriments de l’efficacité à long terme et de le (re)production des antibiotique et des pesticides (=> phénomène de résistance) tandis que pour les vaccins ils sembleraient qu’il n’y ait pas de résistance. Ou du moins on n’en parle pas. Il semblerait que dans le quart monde, ce sont les gens vaccinés qui sont les premiers touchés lors d’une épidémie. Il existe aussi des doutes sur l’efficience des vaccins dans le domaine vétérinaire.

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