Article original publié le 7 novembre 2018 pour Ombelliscience sur la plateforme Échosciences Hauts-de-France.
Le 7 mars 2018, le gouvernement français a annoncé la tenue d’un débat public autour du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, incluant la question du Centre industriel de stockage géologique, ou projet Cigéo.
Avant d’entrer dans le débat, il est important d’avoir en tête un certain nombre de repères sur ce sujet complexe : quels sont les déchets concernés ? Quelles quantités ? En quoi consiste le projet Cigéo et où en est-on ? Quelles sont les alternatives ? Afin de faire le point, Ombelliscience a visité le laboratoire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), à la frontière des départements de la Meuse et de la Haute-Marne.
État des lieux
Les déchets radioactifs constituent une classe de déchets sensible, et ne peuvent être traités comme des déchets ordinaires. Comme leur nom l’indique, ils contiennent des éléments radioactifs, qui se désintègrent en émettant des rayonnements potentiellement nocifs pour les êtres vivants. La radiotoxicité décroît avec le temps, mais peut demeurer conséquente pendant des milliers, voire millions d’années selon les cas.
L’Andra est un organisme public dont la mission est la gestion à long terme des déchets radioactifs produits en France, sous la tutelle des ministères en charge de l’environnement et de la recherche. Aujourd’hui, l’Andra est tenue de faire preuve de transparence dans son travail, afin de permettre aux citoyens de s’informer. Elle réalise notamment un inventaire régulier et détaillé des déchets radioactifs (description, localisation, volume…), dont le fichier source est disponible sur son site.
Pour commencer, d’où viennent ces déchets ? Sans surprise, les « déchets nucléaires » issus de la production nucléaire d’électricité constituent la majorité des déchets radioactifs. Mais les activités de recherche et militaires contribuent pour une part conséquente au total, tandis que l’industrie hors électronucléaire et les activités médicales génèrent des quantités plus modestes. L’Andra dénombre ainsi environ un millier de producteurs de déchets radioactifs différents, les trois plus importants étant EDF, Orano et le CEA. Au total, environ 1,5 million de m3 de déchets radioactifs ont été produits en France à ce jour, avec un rythme actuel d’environ 2 kg par habitant par an.
Plus que l’origine d’un déchet, ce sont ses caractéristiques qui importent du point de vue de la gestion. Le premier critère déterminant est le niveau de radioactivité du déchet, relatif au nombre de désintégrations par seconde, c’est-à-dire l’activité, généralement rapportée à la masse ou au volume de substance. Le second critère est la durée de vie du déchet, c’est-à-dire la durée pendant laquelle il reste dangereux. Cela dépend de la période radioactive des éléments instables contenus dans le déchet, qui correspond au temps nécessaire à une réduction de moitié du niveau de radioactivité.
On distingue donc plusieurs catégories de déchets :
- Très faible activité (TFA) : essentiellement des déchets de chantier (gravats, terre…)
- Faible et moyenne activité – vie courte (FMA-VC) : issus de la maintenance ou du fonctionnement des installations nucléaires et du secteur médical
- Faible activité – vie longue (FA-VL) : déchets industriels, matériel d’anciens réacteurs, vieux objets
- Moyenne activité – vie longue (MA-VL) : notamment gaines métalliques contenant le combustible nucléaire en réacteur
- Haute activité : déchets ultimes issus du combustible usé retraité, dont on a retiré l’uranium et le plutonium (aujourd’hui recyclé en réacteur)
Que faire des déchets ?
L’avenir d’un déchet dépend de sa catégorie. Les déchets aux durées de vies les plus courtes, notamment médicaux, sont simplement entreposés pendant quelques mois, le temps que leur radioactivité décroisse, puis intègrent un circuit de déchets ordinaires. La gestion des TFA et FMA-VC est également résolue : des solutions de conditionnement et de stockage en surface sont déjà opérationnelles, sur deux sites de l’Andra dans l’Aube. Pour les FA-VL, un stockage à faible profondeur est à l’étude.
La gestion des HA et MA-VL est beaucoup plus délicate dans la mesure où ces déchets présentent une radiotoxicité élevée pendant une très longue durée : il faut attendre des centaines de milliers d’années pour que ces déchets retrouvent un niveau de radioactivité égal à celui du minerai d’uranium naturel. Ainsi, quand on parle des problématiques de « déchets nucléaires », c’est généralement des HA et MA-VL – soit environ 3% du total – dont il s’agit. En France, ces déchets sont conditionnés dans des fûts en acier. Les MA-VL y sont compactés, tandis que les HA y sont coulés dans une matrice de verre, selon un procédé de vitrification développé par le CEA. Cette technique confère une bonne stabilité chimique aux éléments radioactifs piégés. En attendant une solution pérenne, les colis sont entreposés à la Hague, Marcoule et Cadarache.
Dès le début de l’ère nucléaire, la question des déchets s’est posée. Au départ, la France comme d’autres pays ont fait le choix critiquable de l’immersion, aujourd’hui abandonné. C’est en 1991 que la loi Bataille pose les bases de la stratégie nationale de gestion des déchets. À l’issue d’un programme de quinze ans de recherche (donc en 2006), le choix sera fait entre trois options qui devront être étudiées par l’Andra et le CEA :
- Séparation-transmutation : il s’agit de mettre à part les éléments radioactifs les plus gênants pour les transformer, par exemple dans un réacteur nucléaire, en d’autres éléments dont la période radioactive est plus courte
- Stockage en couche géologique : il s’agit de stocker définitivement les déchets dans une installation souterraine profonde, au sein d’une formation géologique stable.
- Conditionnement et entreposage : préparer les colis de déchets pour les entreposer en surface ou à faible profondeur sur le long terme en l’attente d’une solution pérenne
La transmutation constitue en principe une solution intéressante, mais les obstacles techniques la rendent difficilement envisageable sur le plan industriel, d’autant qu’elle ne permet pas d’éliminer tous les radionucléides problématiques, ni de traiter les déchets déjà vitrifiés. L’entreposage long terme suscite lui des inquiétudes quant à la sécurité du site de stockage à long terme, et revient à reporter la responsabilité de gérer ces déchets sur les générations suivantes. Aussi, en 2006 la loi entérinait le choix du stockage profond, solution qui semble faire consensus au niveau international, avec par exemple un projet bien engagé en Finlande.
Le projet Cigéo
L’Andra étudie donc depuis plus de 25 ans la solution de stockage géologique, au travers d’un vaste programme de recherche scientifique. Le site retenu pour le projet Cigéo se situe à la frontière entre la Meuse et la Haute-Marne. L’Andra a construit à Bure un laboratoire souterrain ouvert au public, permettant de tester le confinement et de se préparer à ce projet hors norme.
Le lieu a été choisi pour ses caractéristiques géologiques. À 500 m de profondeur, à l’abri des phénomènes climatiques et géologiques de surface, on trouve une épaisse couche argileuse. Si les échelles de temps liées aux déchets radioactifs – jusqu’au million d’années – nous dépassent complètement, il s’agit de temps très courts pour la géologie : la couche d’argile est stable depuis sa formation il y a 160 millions d’années. Ses propriétés en font une barrière naturelle pour confiner la radioactivité. En effet, la roche est saturée en eau, qui se trouve piégée dans des micropores. Ainsi l’eau circule très peu, ce qui contrarie la migration des radionucléides, qui de plus seront retenus par les parois des micropores à cause de leur charge électrique. Seuls les radionucléides les plus mobiles pourront se déplacer, lentement, leur radioactivité diminuant avec le temps. L’argile est la barrière principale sur le long terme, mais il faut aussi compter sur la paroi en béton de l’installation, le fût en inox et pour les HA, la matrice de verre qui emprisonne les radionucléides. Les calculs anticipent des remontées de radioactivité au bout de centaines de milliers d’années, qui seront très faibles et jugées sans risque pour l’environnement.
L’Andra est maître d’ouvrage sur le projet, mais opère notamment sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Avant la construction du centre de stockage en lui-même, l’Andra doit obtenir une autorisation de l’ASN, ce qui le cas échéant devra donner lieu à un décret attendu pour 2022-2025. S’ensuivra une phase industrielle pilote où les premiers déchets seront acheminés, principalement par voie ferrée. L’exploitation du site s’étalera sur plus de 100 ans, et la construction se fera au fur-et-à-mesure de l’arrivée des colis de déchets. Durant cette période, ils pourront être récupérés au cas où l’on aurait changé d’avis (notion de réversibilité).
L’exigence de sûreté est omniprésente dans le projet Cigéo. Elle détermine largement les choix organisationnels et d’ingénierie de projet. Il s’agit d’abord de réduire au maximum les risques. Cela passe par exemple par l’utilisation de technologies simples et robustes pour la manipulation des colis de déchets, afin d’éviter toute panne et ainsi minimiser le besoin d’intervention humaine sous terre. Mais en plus de ces efforts, l’ASN impose aux ingénieurs de prévoir des solutions aux cas où des imprévus, même improbables, se produisent, voire d’imaginer qu’ils se cumulent (approche déterministe).
Une controverse qui dure
Le sujet des déchets radioactifs fait débat, particulièrement en relation avec les déchets les plus délicats issus de l’industrie électronucléaire. Le discours de l’Andra est d’insister sur le fait qu’une partie des déchets est déjà produite et qu’il convient de trouver une solution, que l’on soit pour ou contre la poursuite du nucléaire en France. « Il est de notre responsabilité de nous occuper de nos déchets afin de ne pas reporter la charge de leur gestion sur les générations futures », souligne Guillaume Cochard, responsable communication à l’Andra. Pour d’autres comme Greenpeace, il n’est au contraire pas envisageable de détacher la question des déchets du débat plus large sur le nucléaire.
En amont de la loi de 2006, un débat avait été organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) sur la politique de gestion des déchets, donnant lieu à l’expression de vives oppositions. Un second débat en 2013 portait sur la territorialisation du projet, et ne proposait pas de revenir sur le choix du stockage géologique. Dès lors, le débat avait été empêché par les opposants, et avait été déplacé en ligne. C’est un sujet que Clément Mabi, maître de conférences à l’Université Technologie de Compiègne a étudié dans le cadre de sa thèse. « Les débats de la CNDP ont initialement été créés pour des sujets de démocratie locale, comme le tracé d’autoroutes. La question des déchets nucléaires est hors norme et s’adapte mal à ce format », fait-il remarquer, et ajoute « qu’il n’est pas facile de trouver le bon modèle de concertation sur un tel sujet, afin que la critique sociale puisse s’exprimer ».
À l’occasion du troisième débat se déroulant prochainement, le gouvernement a créé une plateforme d’informations et de ressources où l’on peut consulter les contributions de plusieurs acteurs. Mais a priori, là encore il ne s’agira pas de remettre en cause le choix du stockage géologique, prévu par la loi, mais de discuter des modalités du projet.
Nul doute que des débats houleux perdureront sur ce projet industriel colossal qui pose à nos sociétés des questions absolument inédites sur le plan environnemental et éthique du fait des échelles de temps qui sont en jeu. Par contre, c’est presque du déjà-vu pour la planète, puisque des réacteurs nucléaires naturels ont fonctionné il y a 2 milliards d’années, laissant leurs déchets stockés sur place, dans la roche.
Anonyme
C’est a nous de voir les choses plus clair
sniadecki
« Il est de notre responsabilité de nous occuper de nos déchets afin de ne pas reporter la charge de leur gestion sur les générations futures », souligne Guillaume Cochard, responsable communication à l’Andra.
Ben là, c’est trop tard, non ? Il aurait fallu y penser avant d’en produire…
Anonyme
Savais-vous si d’autre endroit que Bure sont viables et ont été envisagé pour le stockage ?
Théo
Plusieurs sites avaient initialement été repérés. Quelques infos sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Laboratoire_de_Bure#Diff%C3%A9rents_sites_envisag%C3%A9s