Énergie, Environnement

Autrefois grisou meurtrier, le gaz de mine est à présent une (petite) source d’énergie

Article original publié le 16 janvier 2018 pour Ombelliscience sur la plateforme Échosciences Hauts-de-France.


Pendant près de trois siècles, l’exploitation du charbon a façonné le quotidien des habitants du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. En contrepartie des bénéfices économiques certains pour les territoires, le risque encouru par les mineurs était considérable. On pense en premier lieu aux fameux coups de grisou, responsables de nombreux accidents meurtriers. À une époque où les conditions de sécurité des travailleurs n’avaient rien à voir avec les exigences actuelles, la menace du grisou était palpable.

Ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, de plus de 100 km d’envergure, et totalisant 350 puits.

Un gaz redouté accompagnant le charbon

D’origine fossile comme le charbon qu’il accompagne, le grisou est en grande majorité composé de méthane (que l’on désignera ici par sa formule CH4). Il se trouve incorporé, ou adsorbé, dans le charbon et accumulé sous pression dans les fissures naturelles des gisements. Au contact du vide souterrain creusé lors de l’exploitation, le gaz est libéré dans les galeries. Inodore et incolore, le mélange air-grisou est hautement inflammable, potentiellement explosif pour une teneur en méthane de 5 à 15%. Malgré les différents efforts de détection, les précautions d’aérage et l’usage d’équipements spécifiques, par exemple de lampes adaptées, de nombreux accidents mortels se sont produits dans la région et continuent de se produire à travers le monde.

Numéro de La Voix du Nord suite à l’accident de Liévin. © Centre Historique Minier (prêt ANMT)

La proéminence des questions de sécurité dans les mines est à l’origine de la création en 1947 du Centre d’Études et Recherches des Charbonnages (Cerchar). Il s’agit de l’ancêtre de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), qui a pour but d’étudier les risques que les activités économiques font peser sur la santé et l’environnement.

Un gaz toujours présent

Si l’extraction du charbon a pris fin dans le Nord et le Pas-de-Calais en 1990, le grisou n’a pas disparu pour autant et fait toujours parler de lui.

Et pour cause, il continue de s’échapper de la roche et de se déverser dans les 100 000 km de galeries désaffectées. La pression augmentant, le mélange de gaz remonte en surface. Or, en cas de libération dans l’atmosphère, ce gaz de mine présente un risque pour les personnes à proximité (inflammation, explosion…).

Le grisou s’échappe par des conduits artificiels ou naturels (1), des failles (2), des effondrements miniers (3) ou par des roches perméables (8). Il peut aussi être dissous dans l’eau (4) provenant des nappes (5) qui remontent (7) et ennoient le vide minier (6). Image par Lamiot (CC BY-SA 3.0)

Avec la disparition de l’exploitant public des gisements de charbon, l’État assure le devenir des anciens sites miniers : on parle de l’après-mine. Zbigniew Pokryszka, ingénieur à la Direction des Risques du sol et sous-sol à l’Ineris, précise qu’à la fermeture des mines, la solution jugée la plus efficace fut le captage du gaz par pompage à partir de la surface. En canalisant le flux de gaz, on limite sa fuite incontrôlée en surface. En pratique, cela est difficile à mettre en œuvre à l’échelle du réseau minier entier, qui est compartimenté par la remontée de l’eau souterraine. À la place, de multiples forages ont été effectués entre la surface et les galeries, afin de libérer le gaz en surpression. Actuellement, la majorité du gaz du bassin s’échappe donc dans l’atmosphère, ce qui contribue aux émissions nationales de CH4, gaz à effet de serre plus puissant que le CO2.

Que faire du gaz de mine que l’on parvient à capter ? Le relâcher à l’air libre n’aurait pas de sens, autant en termes économiques qu’écologiques. Du fait de l’effet de serre induit par sa teneur en CH4, il est plus avantageux d’émettre du CO2 en le brûlant que de le relâcher. Dans une certaine mesure, la remontée continue de gaz de mine en surface est une conséquence fatale de l’exploitation du charbon, on comprend alors qu’il puisse être pertinent de valoriser son contenu énergétique.

D’une menace à une source d’énergie

La société Gazonor, fondée par des acteurs publics et aujourd’hui filiale de la Française de l’Énergie, est actuellement le seul acteur à récupérer et exploiter du gaz de mine. L’entreprise dispose de quatre sites de captage : un à Divion (62), un à Lourches (59) et deux à Avion (62). Les volumes restent modestes, couvrant 0.5% de la consommation nationale en 2015. La production de biogaz étant encore plus faible, la France importe la quasi-totalité de son gaz.

Le gaz capté peut d’abord servir directement aux usages ménagers ou industriels. C’est la première activité de Gazonor, assez simple à mettre en place à condition de pouvoir transporter le gaz du puits jusqu’au lieu d’utilisation. On peut ainsi approvisionner des industriels locaux, et même le réseau de distribution public de gaz. Plus récemment, Gazonor a démarré une activité de production d’électricité à partir du gaz de mine sur ses sites, pour un total de 9 mégawatts (MW) installés. Une convention de raccordement au réseau public a été signée, avec une obligation de rachat par EDF de l’électricité ainsi produite.

Moteurs électriques de Gazonor fonctionnant au gaz de mine.
© Française de l’Énergie

D’après Yann Fouant, chef de projet à la Française de l’Énergie, il existe une forte dynamique de développement autour du gaz de mine, dont les réserves estimées sont conséquentes (cent ans de réserve à la vitesse de captage actuelle). Un accord a récemment été conclu pour fournir gaz et électricité à la ville de Béthune. Il existe aussi des projets de liquéfaction du gaz, de fabrication d’hydrogène et de valorisation de la chaleur dégagée par les moteurs produisant l’électricité (cogénération). Par ailleurs, une cartographie sophistiquée du sous-sol du Valenciennois est prévue, pour déterminer la façon optimale de capter le gaz de ce bassin partiellement ennoyé.

Notons que, bien qu’étant une forme de carbone fossile, le gaz de mine n’est pas visé par la loi Hulot prévoyant la fin de l’exploitation des hydrocarbures en France d’ici 2040. Parce qu’elle valorise un gaz « déchet », l’exploitation de ce gaz est perçue favorablement : l’électricité produite a notamment obtenu le label « électricité verte« . Par ailleurs, on a pu voir que le captage constituait une mesure de sécurité. Toutefois, puisqu’on accélère la libération du gaz en pompant pour le récupérer, il s’agit de fait d’une activité à la frontière entre le captage et l’extraction.

Afin d’éviter l’effet de serre lié à sa combustion ou à sa fuite dans l’atmosphère, l’idéal serait de trouver un moyen de maintenir le gaz de mine sous terre. Malheureusement, cette tâche est impossible en pratique. La solution la plus simple reste d’attendre que l’eau souterraine termine de combler les vides miniers, au bout d’un siècle ou plus selon les projections.

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